baudelaire l ideal
André Durand présente
‘’L’idéal’’
sonnet de Charles BAUDELAIRE
dans
‘’Les fleurs du mal’’
(1857)
XVII
Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien.
Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.
Ce qu'il faut à ce coeur profond comme un abîme,
C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans,
Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans. Commentaire
Ce poème fait partie, avec ‘’La beauté’’ (XVII) et ‘’La géante’’ (XIX), d’un groupe de trois sonnets du recueil ‘’Les fleurs du mal’’ qui permirent à Baudelaire d’indiquer ce qu’il entendait par le terme d’«idéal», plus exactement à définir son goût en matière d’art.
Comme tous les sonnets, il est construit sur l’opposition classique entre les quatrains et les tercets. Les deux quatrains expriment la critique par Baudelaire de l’esthétique contemporaine, tandis que les deux tercets font l’éloge d’une beauté plus classique. Cependant, pour lui, ces deux affirmations n’étaient pas contradictoires, mais définissaient un véritable paradoxe qui est au cœur de son oeuvre. Dans le premier quatrain, Baudelaire critique l’esthétique contemporaine, celle de ce «siècle vaurien» (on remarque l’usage de «vaurien» comme adjectif), en usant d’un champ lexical dépréciatif («ces», qui est répété, marquant l’éloignement, le rejet) pour en repousser diverses manifestations :
- les «beautés de vignettes», celles, vulgaires, superficielles, des illustrations publicitaires de l’époque, qui ne sont que des «produits avariés», c’est-à-dire «altérés», «corrompus», «faisandés»,