Dermuche

3777 mots 16 pages
Marcel Aymé
« Dermuche »

Il avait assassiné une famille de trois personnes pour s’emparer d’un plat à musique qui lui faisait envie depuis plusieurs années. L’éloquence rageuse de M. Leboeuf, le procureur, était superflue, celle de Me Bridon, le défenseur, inutile. L’accusé fut condamné à l’unanimité à avoir la tête tranchée. Il n’y eut pas une voix pour le plaindre, ni dans la salle, ni ailleurs. Les épaules massives, une encolure de taureau, il avait une énorme face plate, sans front, toute en mâchoires, et de petits yeux minces au regard terne. S’il avait pu subsister un doute quant à sa culpabilité, un jury sensible l’aurait condamné sur sa tête de brute. Durant tout le temps des débats, il demeura immobile à son banc, l’air indifférent et incompréhensif. — Dermuche, lui demanda le président, regrettez-vous votre crime? — Comme ci comme ça, monsieur le Président, répondit Dermuche, je regrette sans regretter. — Expliquez-vous éloquemment. Avez-vous un remords? — Plaît-il, monsieur le Président? — Un remords, vous ne savez pas ce qu’est le remords? Voyons, vous arrive-t-il de souffrir en pensant à vos victimes? — Je me porte bien, monsieur le Président, je vous remercie. Le seul instant du procès pendant lequel Dermuche manifesta un intérêt certain fut celui où l’accusation produisit le plat à musique. Penché au bord de son box, il ne le quitta pas du regard, et, lorsque la mécanique remontée par les soins du greffier, égrena sa ritournelle, un sourire d’une très grande douceur passa sur son visage abruti. En attendant que la sentence fût exécutée, il occupa une cellule du quartier des condamnés et y attendit tranquillement le jour de la fin. L’échéance ne semblait d’ailleurs pas le préoccuper. Il n’en ouvrit jamais la bouche aux gardiens qui entraient dans sa cellule. Il n’éprouvait pas non plus le besoin de leur adresser la parole et se contentait de répondre poliment aux questions qui lui étaient faites. Sa seule

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